FRANCOPRESSE – Il aura fallu tout près de 100 ans pour que la Confédération canadienne se dote d’un drapeau distinct. Le 15 février, le drapeau du Canada fête son 58e anniversaire. Le chemin pour en arriver à un véritable drapeau national a été long, ardu et sinueux.
Marc Poirier – Francopresse
Du temps de la Nouvelle-France, on utilise d’abord la bannière de France : c’est un drapeau carré affichant trois fleurs de lys dorées sur fond bleu. Il a flotté sur l’île Sainte-Croix en 1604, année de fondation de l’Acadie et – possiblement – sur l’Habitation de Champlain à Québec.
Par la suite, c’est un pavillon complètement blanc de la marine royale française qui fait son apparition, à la fois sur les navires et sur certains forts.
Lorsque la Grande-Bretagne devient maitre du pays, le drapeau britannique puis celui du Royaume-Uni communément appelé «Union Jack» s’utilisent largement par les colonies britanniques, qui formeront le Canada.
Mais un autre drapeau rivalise déjà avec l’Union Jack : le Red Ensign, un pavillon de la marine marchande britannique qui s’agite notamment sur certains forts et canots de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Il s’agit d’un drapeau rouge arborant, dans le coin supérieur gauche, la bannière du Royaume-Uni. Après la Confédération, on y ajoutera les armes des quatre provinces fondatrices du Canada.
Ce drapeau aura plusieurs variantes : on y ajoutera parfois les emblèmes des nouvelles provinces, tandis que d’autres versions auront un castor, une couronne, des branches avec des feuilles d’érable, etc.
Une nouvelle version officielle du Red Ensign est adoptée en 1921. Les armes des provinces et autres symboles sont remplacés par les «armoiries royales du Canada» concédées par le roi George V. L’écu se compose des symboles des quatre nations européennes «fondatrices» du Canada, soit l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et la France. Dessous, trois feuilles d’érable représentent le Canada.
Ce drapeau sera utilisé jusqu’à l’adoption du drapeau canadien actuel, en 1965.
Le souhait d’avoir un drapeau strictement canadien, sans symboles britanniques, prendra de l’ampleur à mesure que le pays gagne en indépendance.
Le premier ministre William Lyon Mackenzie King tentera le coup à deux reprises, en 1925 et en 1945. L’opposition est telle qu’il fait marche arrière.
L’échec du drapeau canadien, la victoire du drapeau du Québec
Ce nouvel échec provoque une déception au Québec, qui souhaite que le Canada se débarrasse des symboles britanniques. Mais l’adoption d’un drapeau officiel n’est pas plus facile à Québec qu’à Ottawa.
En 1946 et en 1947, des motions présentées par le député René Chaloult sont rejetées par le gouvernement de Maurice Duplessis. Ce dernier, voulant la paternité du nouveau drapeau, fait lui-même adopter le fleurdelisé le 28 janvier 1948, soit il y a 75 ans.
C’est un drapeau qui tire son origine de la bataille de Carillon, lors de la guerre de Sept Ans. C’est un drapeau bleu arborant, aux quatre coins, une fleur de lys pointée vers le centre, où se trouvent les armes du roi de France.
Au début du 20e siècle, le curé Elphège-Prime Filiatrault modifie la bannière de Carillon afin de doter les Canadiens français d’un emblème national. Il ajoute à ce qu’on appellera le «Carillon moderne», soit une croix blanche, et retire les armes royales.
Maurice Duplessis veut faire du «Carillon moderne» LE drapeau national du Québec. Il aurait cependant voulu lui donner une touche personnelle. Il consulte alors le prêtre nationaliste Lionel Groulx. C’est lui qui aurait proposé de redresser les lys pour qu’ils pointent vers le haut.
Vers l’unifolié
Mais revenons au drapeau canadien. Après l’échec de 1945, il faudra attendre 15 ans avant que quelqu’un ne prenne la relève.
Dans les années 1960, Lester B. Pearson, reprend le bâton (pour ne pas dire le mât) du pèlerin. Il promet un nouveau drapeau à temps pour les célébrations du centenaire de la Confédération, en 1967. Facile à dire!
Élu premier ministre du Canada en 1963, Pearson crée en 1964 un comité parlementaire qui recevra plus de 2 400 suggestions de drapeau arborant notamment :
- des feuilles d’érable (1 611 suggestions)
- l’Union Jack (383)
- des étoiles (231)
- des fleurs de lys (184)
- des castors (116).
Entre en jeu George F. Stanley, alors doyen de la Faculté des arts du Collège militaire royal de Kingston en Ontario, et historien militaire.
En mars 1964, avant même les délibérations du comité, Stanley écrit à John Matheson, bras droit de Pearson et membre du comité du drapeau. Stanley explique qu’il faut un drapeau simple, reconnaissable de loin et dépourvu de symboles d’autres pays comme l’Union Jack ou la fleur de lys.
Il faut selon lui que le drapeau soit distinctement canadien. Le rouge est déjà associé au Canada, avec le Red Ensign. Quant à la feuille d’érable, elle fait partie de l’écu du Canada depuis longtemps.
Stanley va donc fortement s’inspirer du drapeau du Collège militaire royal de Kingston. Celui-ci a deux bandes verticales rouges avec au milieu une bande verticale blanche sur laquelle figure l’emblème de l’institution : un bras d’armure tenant trois feuilles d’érable surmonté d’une couronne.
Dans sa lettre, Stanley propose de substituer l’emblème de l’institution par une seule feuille d’érable rouge. Simple, mais il fallait y penser!
Après bien des débats, trois propositions sont retenues par le comité parlementaire, dont celle de Stanley. Tous les membres du comité votent pour l’unifolié.
La décision du comité sera suivie de vives discussions pendant six semaines à la Chambre des communes. Dans la nuit du 15 décembre 1964, après un débat musclé, les Communes adoptent l’unifolié par un vote de 163 contre 78.
Le nouveau drapeau sera hissé pour la première fois sur le Parlement le 15 février 1965. George F. Stanley deviendra par la suite lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, de 1981 à 1987.
Outre le Québec, la plupart des provinces et les deux territoires de l’époque se doteront d’un drapeau dans les années 1960. La Nouvelle-Écosse l’avait fait en 1929 et Terre-Neuve-et-Labrador le fera en 1980. Le Nunavut aura le sien à sa création, en 1999.
Bien avant tout ça, les Acadiens avaient choisi un drapeau en 1884. Les Franco-Ontariens feront de même en 1975 et deviendront la deuxième communauté francophone de l’extérieur du Québec à avoir son drapeau.