FRANCOPRESSE – La ministre des Langues officielles a assuré tant bien que mal que ses collègues libéraux anglo-québécois du Comité permanent des langues officielles étaient « autonomes », malgré leurs propos qui désavouent son projet de loi en comité parlementaire. Le Franco-Ontarien Francis Drouin, membre libéral du Comité, a de son côté dénoncé leur « show de boucane honteux ».
Inès Lombardo – Francopresse
Lundi soir, puis à nouveau mardi matin, à la sortie de la réunion du Cabinet, Ginette Petitpas Taylor a répété, sans conviction, que ses collègues anglo-québécois ont pu partager leurs opinions sur le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles. « On ne dit pas quoi dire aux députés. On encourage les débats en comité. On veut avoir la meilleure version du projet de loi », a déclaré la ministre.
Vendredi, ses collègues Anthony Housefather et Emmanuella Lambropoulos avaient partagé leurs craintes sur la distillation des droits des Anglo-Québécois si la Charte de la langue française était insérée dans la future loi.
Emmanuella Lambropoulos, députée de Saint-Laurent au Québec, qui avait déjà tenu des propos polarisants sur le déclin du français au Québec, a affirmé devant le Comité vendredi que l’adoption de la loi 96 avait eu des conséquences négatives au Québec.
À titre d’exemple, la députée a raconté qu’une dame âgée anglophone de sa circonscription n’a pu obtenir des services de santé dans sa langue parce que son médecin craint de recevoir une plainte pour avoir utilisé une autre langue que le français.
La Charte de la langue française du Québec n’interdit pas l’offre de soins dans une autre langue que le français.
Pour Linda Cardinal, professeure à l’Université de l’Ontario français (UOF), la réaction des députés Housefather et Lambropoulos est «démesurée, car il n’y a aucune perte de droits, seulement la reconnaissance des droits des francophones. [Leur soutien] aurait ramené vers l’égalité réelle. Pour atteindre cette égalité, il aurait fallu qu’ils donnent un coup de pouce à ceux qui en ont besoin [les francophones en situation minoritaire, NDLR]. L’idéologie fait vraiment feu de tout bois.»
Un « show de boucane », selon le député franco-ontarien Francis Drouin
C’est la sortie du député franco-ontarien Francis Drouin sur Twitter qui a suscité des réactions, mardi matin. «Le show de boucane mené par certains de mes collègues est honteux», a-t-il écrit en faisant référence aux députés Housefather et Lambropoulos.
Mais ce seul appui à la ministre Petitpas Taylor n’a pas fait sortir cette dernière de son discours : « Parfois il y a des débats musclés. Moi, mon objectif en tant que ministre, c’est d’assurer que l’on va passer le projet de loi C-13. »
Traitement « terrible » de la ministre Ginette Petitpas Taylor
À la période des questions de mardi, le leadeur du Bloc québécois, Alain Therrien, a dénoncé l’action du premier ministre qui « divise » : « On le voit au Comité des langues officielles, où il envoie ses députés de West Island au bat contre la protection du français! Il veut diviser les Québécois entre eux en assurant la désinformation sur la Charte de la langue française. »
Pablo Rodriguez, lieutenant du Québec au gouvernement, a de son côté affirmé que « le Bloc est né pour diviser. On parle d’un projet de loi qui permet aux gens de travailler en français, qui garantit des services en français et ils votent contre! » Contrairement aux libéraux, c’est pourtant le Bloc et l’opposition qui ont fait voter les deux amendements sur la Charte de la langue française dans C-13 et la garantie d’un foyer francophone majoritaire au Québec.
En Chambre, la ministre Petitpas Taylor quant à elle a subi une huée mêlée de rires provenant de l’opposition, avant de défendre son projet de loi et réclamer une adoption du projet de loi « dans les plus brefs délais ».
Silence radio également du côté des ministres francophones minoritaires. La Franco-Ontarienne Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor, qui se présente comme grande défenseure des droits des francophones, n’a pourtant pas appuyé sa collègue. Interrogée en mêlée de presse au sujet de la division libérale au Comité, elle a rectifié : « C’est une conversation. Mais on est tous d’accord qu’il y a un déclin du français à travers le pays. »
Pour Linda Cardinal, c’est la « cacophonie » : « La ministre Fortier veut certainement sauver la chèvre et le chou, car il y a davantage d’anglophones dans sa circonscription. »
Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que la ministre Petitpas Taylor se fait désavouer par ses collègues. En mars 2022, le ministre de la Justice David Lametti avait interjeté appel pour convoquer les francophones de la Colombie-Britannique devant la Cour suprême, dans le dossier sensible des services d’aide à l’emploi pour les francophones. « C’est très choquant », affirme Linda Cardinal.
« Le traitement de la ministre Petitpas Taylor est terrible, affirme la professeure. Il faut que le premier ministre Trudeau sorte et réaffirme sa confiance en elle et son projet de loi. » Un rappel à l’ordre serait le bienvenu, notamment pour les «gens qui laissent constamment des peaux de banane. C-13 est en train de glisser des mains des libéraux», insiste Linda Cardinal.
Au moment d’écrire ces lignes, les députés René Arseneault, Arielle Kayabaga et Marc Serré n’ont pas répondu aux sollicitations d’entrevues de Francopresse.
Un plan d’action avant l’adoption du projet de loi
Il reste plus d’une centaine d’amendements à traiter en cinq sessions de comité : « On verra si c’est assez. Mais c’est le français qui est la langue menacée, pas l’anglais », a tenu à rappeler Ginette Petitpas Taylor.
Invitée à témoigner lundi soir au Comité sénatorial des langues officielles, la ministre a assuré que si le projet de loi C-13 n’était pas adopté, le dépôt du Plan d’action le précèderait. « Les agences à but non lucratif nous demandent de le déposer plus tôt que tard », a-t-elle précisé.