Après la machine à vapeur, l’électricité et Internet, c’est au tour de l’intelligence artificielle (I.A) de révolutionner le monde du 21e siècle. Les possibilités d’applications sont multiples pour ne pas dire infinies et le milieu de l’art n’y a pas échappé.
Le tableau « Portrait d’Edmond de Belamy » est vendu aux enchères, en 2018, chez Christie’s à New York. Le visage et la silhouette du portrait se distinguent à peine, la toile est abîmée ou bien c’est la peinture qui semble avoir été essuyée avec un torchon mouillé. Comme si l’on avait voulu effacer la peinture, comme on efface un mauvais coup de crayon avec une efface. En tout cas, on jurerait une peinture du 19e.
Dans l’angle inférieur droit du tableau : une formule mathématique en guise de signature.
« Portrait d’Edmond de Belamy » est la première toile, créée par intelligence artificielle, à être vendue aux enchères.
Le portrait est adjugé à près à un demi-million $USD alors naturellement, la nouvelle fait parler et à l’époque déjà, des questions se posent : L’intelligence artificielle est-elle destinée à éclipser les artistes traditionnels? La machine peut- elle, elle aussi, être à l’origine d’une œuvre d’art?
Accessibilité
C’est un trio d’artistes/ chercheurs français, appelés OBVIOUS, qui élabore l’impression sur toile à l’aide d’un algorithme de génération d’images à partir d’images préexistantes (GAN). Cette dernière fait partie d’une série de 11 portraits appelée : La Famille Belamy. Aujourd’hui, le groupe OBVIOUS compte cinq collections aux styles complètement différents, preuve de la polyvalence dont l’IA peut faire preuve.
Mais ce qui frappe le plus, c’est leur accessibilité. Bien sûr, il existe des algorithmes plus ou moins performants, mais pour celui qui n’a jamais tenu de pinceaux, il suffit de taper « NightCafé » sur sa barre de recherche, entrer quelques mots clefs pour voir ses idées (avec plus ou moins de fidélité) se numériser en une image. Une fois encore, la technologie a rendu plus accessible une discipline qui jusqu’alors n’était réservée qu’à un nombre réduit d’individus : l’art.
En tout cas, les algorithmes de création d’images auront le mérite d’interroger la définition actuelle de ce qu’est une œuvre d’art. Pour rappel, en septembre 2022, une image créée par intelligence artificielle rem- portait un concours d’art dans le Colorado.
Pour Pierre Fautrel, l’un des membres fondateurs du collectif OBVIOUS et IA artiste, il est important de souligner une chose : « Il s’agit d’art créé avec des algorithmes et non pas par des algorithmes. Il n’existe aucune IA indépendante. Elles répondent aux commandes d’un opérateur, elles ne réfléchissent pas seules. » En effet, l’artiste français insiste sur cette distinction, les algorithmes sont des outils, « c’est comme un photographe. Il possède de nombreux objectifs qui lui servent à plusieurs choses. C’est la même chose pour l’IA artiste, la différence est qu’il utilise des algorithmes. À nous ensuite de se servir du meilleur outil à notre disposition en fonction de ce que l’on veut faire. »
Comment ça marche?
Mais, au-delà des réflexions philosophiques que ces algorithmes induisent, comment fonctionnent-ils exactement?
Il faut d’abord noter qu’il existe différents types d’algorithmes qui fonctionnent tous différemment. Dans le milieu artistique, ceux dont il est le plus souvent question sont les suivants : Premièrement, l’algorithme de génération d’images à partir d’images préexistantes. Pour l’utiliser, on lui donne comme base de données une sélection d’images. L’algorithme est alors capable de comprendre les règles en commun de ces images et en crée de nouvelles à partir de là.
Deuxièmement, les générateurs texte-image, « sont particulièrement puissants » selon Pierre Fautrel et fonctionne comme suit : « Ces algorithmes ont été entraînés, leurs créateurs leur ont fourni plusieurs millions d’images avec les définitions associées. Par exemple, on lui a donné l’image d’un crapaud qui saute en lui disant Cette image est un crapaud qui saute. Le programme fait alors le lien entre une image et sa définition. À partir de là, un utilisateur peut lui demander de faire un crapaud qui saute très haut. »
ChatGPT
Pour ChatGPT, l’algorithme de génération de texte, qui fait tant parler de lui, le fonctionnement est assez similaire, le robot a été entraîné sur un corpus de textes très variés et est donc en mesure de générer du texte à partir de phrases, de mots clefs et de questions.
Il faut donc en retenir que tout ce qui est généré par un programme d’IA est basé sur une multitude d’œuvres, d’images de textes déjà existants. Il est même possible d’estimer, sans trop prendre de risque, que certains de ces documents sont protégés par des droits d’auteurs. Se pose alors la question du plagiat.
« Il y a un problème certain, admet Pierre Fautrel. Les entreprises qui créent les algorithmes sont assez opaques sur la source des images utilisées pour leur base de données. Pour moi, ce n’est pas du plagiat au sens actuel du terme, mais cela pourrait faire évoluer la définition et la notion de ce qui est original ou pas. »
Un autre argument qui pourrait être avancé, serait le suivant : Plusieurs artistes, voire tous, s’inspirent du travail de leurs paires et prédécesseurs, pour autant il n’est pas question de plagiat.
Seulement, les algorithmes puisent directement dans les bases de données et utilisent directement les œuvres d’autres artistes pour créer les leurs et les revendre. L’éthique rentre en jeu à cet instant.
« Il y a des métiers qui vont s’automatiser, c’est certain, mais les technologies en amèneront de nouveaux avec elles. Il faut s’interroger maintenant sur la manière d’en faire profiter tout le monde. »
Pierre FAUTREL
La question du plagiat
Pour Xavier Mutshipayi, artiste peintre winnipégois, la question du droit d’auteur est un point d’inquiétude. « C’est délicat, car il ne s’agit pas d’une personne physique. L’œuvre de l’artiste peut être facilement copiée, plusieurs s’en sont plaints d’ailleurs. Là, ça me dérange parce que les artistes n’ont pas la possibilité d’aller en justice pour faire valoir leurs droits. » Parmi les plaignants, Mathieu Laca qui confiait auprès de La Presse en octobre 2022 avoir retrouvé ses toiles dans la base de données de l’IA génératrice d’images Stable Diffusion sans qu’on lui ait demandé son accord.
Il faut savoir que depuis le 4 novembre 2022, le projet de loi C-27 a été déposé à la Chambre des Communes. La troisième partie de ce projet de loi se compose de La Loi sur l’intelligence artificielle et les données. Elle vise notamment à établir « des exigences de conception, de développement et d’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle. » En revanche, les notions de plagiat et de droit d’auteur ne sont pas mentionnées.
Un cadre à créer
Sur ces questions-là, nous nageons donc toujours en eaux troubles. Cependant, les législateurs s’intéressent à ces nouvelles technologies et à leur encadrement.
Mis à part cet aspect-là, le point de vue de Xavier Mutshipayi sur les programmes d’IA est assez modéré : « Dans le domaine artistique, il faut toujours être éveillé et curieux. Le monde évolue, pour moi c’est un nouvel instrument à travers lequel les artistes essaient de s’exprimer.
« Il y a du bon et du mauvais, on peut utiliser les algorithmes pour créer quelque chose d’encore plus fort sur quelque chose qu’elle propose. Le mauvais côté c’est que ça devient plus facile de créer et vendre une œuvre, nous (artistes peintres) nous passons des heures entières dans nos ateliers pour faire quelque chose d’unique alors c’est un peu frustrant. » C’est aussi beaucoup de temps passé à pratiquer ses traits, ses contours, à essayer, rater, réessayer.
Mais comme le confie Pierre Fautrel, l’utilisation d’un algorithme n’est pas systématiquement synonyme de gain de temps, l’avantage est ailleurs : « L’IA permet à de nouvelles personnes d’être créatives, de devenir artistes. Moi, par exemple, je ne sais ni peindre ni sculpter. En revanche, ce que je sais faire, c’est manier et travailler avec des algorithmes. »
Quelles perspectives
Il peut être légitime de se poser la question de savoir si les œuvres de Pierre Fautrel et ses camarades sont véritablement les leurs. L’idée reçue qui semble prédominer, c’est que l’intervention de l’IA artiste dans le processus de création, s’arrête justement au moment de donner forme à ses idées.
La réalité est un peu plus complexe. « Il y a plein d’étapes humaines dans le processus de création. Il y a le choix du sujet au départ, la création de la base de données, les différents paramètres de l’algorithme, le choix de l’image parmi celles proposées ensuite il y a le choix du médium. Est-ce que j’en fais une impression? Est-ce que je la fais peindre? Une sculpture? »
Finalement, devant la montée en puissance des programmes d’intelligence artificielle, ce sont les perspectives qui inquiètent le plus les acteurs du milieu artistique, Xavier Mutshipayi reste mesuré et tire un parallèle intéressant : « Certains métiers vont en souffrir, c’est sûr, mais c’est comme avec l’apparition du synthétiseur, tout le monde pensait que c’était la fin du piano classique pourtant, on en joue encore aujourd’hui.»
Même si l’IA dans les arts reste précurseur, il suffit de se tourner vers le passé pour constater que les machines ont déjà, à maintes reprises, remplacé l’être humain. De l’autre côté de l’océan, Pierre Fautrel rappelle qu’il existait des poinçonneurs dans le métro parisien avant l’arrivée des bornes automatiques. « C’est difficile de se projeter, mais il s’agit vraiment d’une révolution. Les graphistes par exemple, ne vont pas disparaître, sauf que la génération future ne fera plus les mêmes choses que la précédente. Il y a des métiers qui vont s’automatiser, c’est certain, mais les technologies en amèneront de nouveaux avec elles. Il faut s’interroger maintenant sur la manière d’en faire profiter tout le monde. »
ChatGPT prend le relais
La rédaction a demandé à ChatGPT d’expliquer ce que sont les algorithmes de génération d’image. Voila ce qu’il a répondu :
Les algorithmes de génération d’images, ou GAN, permettent de créer des images à partir de données. Ils sont composés de deux réseaux de neurones: un générateur et un discriminant. Le générateur crée des images, tandis que le discriminant analyse pour déterminer si elles sont réelles ou générées. Les deux réseaux sont entraînés ensemble. Les GAN ont été utilisés pour différentes tâches comme la création de personnages de jeux vidéo, de textures pour les films d’animation, et de contenu pour les réseaux sociaux. Il peut également être utilisé pour des applications plus sérieuses comme la création d’images médicales ou de contenu pour les véhicules autonomes. Il est important de surveiller les avancées pour garantir une utilisation éthique, car ils peuvent être utilisés pour des fins malveillantes comme la création de contenu deepfake.
Nous lui avons ensuite demander d’ajouter un peu d’humour à son texte et voilà ce qu’il a répondu :
Désolé si ma réponse précédente ne vous a pas semblé suffisamment amusante. Voici une autre approche pour ajouter un peu d’humour :
Imaginez que vous avez un ami qui est un artiste médiocre mais qui veut absolument devenir célèbre. Vous lui dites : « Hey, pourquoi ne pas utiliser un GAN pour créer des œuvres d’art qui ressemblent à celles de Picasso, Monet ou Van Gogh? Personne ne saura jamais que ce ne sont pas les vraies!» Et il répond: « Génial ! C’est comme tricher aux examens d’art! »
En somme, les GANs sont des outils puissants mais il est important de s’assurer de leur utilisation éthique, car ils peuvent être utilisés pour des fins malveillantes comme la création de contenu deepfake qui peut tromper les gens en diffusant des images ou des vidéos qui semblent réelles mais qui ne le sont pas.
- OBVIOUS: Gracieuseté