C’est en découvrant le nom de l’un de ses ancêtres dans un livre d’histoire sur Sir George Simpson, un gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson du 19e siècle, que Matthew Tétreault, métis et franco-manitobain, a eu envie d’en savoir plus sur lui, son identité et l’histoire métisse. Son cheminement a été long et a abouti avec une thèse et un roman.
Il y a presque 10 ans Matthew Tétreault, à l’Université du Manitoba à l’époque, cherche à écrire une histoire sur la traite de fourrures. Pour ses recherches, il lit un livre au sujet Sir George Simpson. « Je vois alors le nom de Margaret Taylor, l’une des country wives, comme ils disent, de George Simpson. C’était un nom que j’avais vu dans ma généalogie. Je me suis alors demandé comment ça se fait que nous autres, la famille, nous ne connaissions pas son histoire. Ça a créé en moi plusieurs sentiments : la surprise, le choc et même la frustration de ne pas savoir l’histoire avant ce point-là. Encore aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas. »
Matthew Tétreault, curieux, souhaite alors en savoir plus. Il se confronte à un défi majeur : il y a peu d’histoires littéraires sur les Métis. « Dans le même temps, j’avais l’idée d’écrire un roman basé sur les expériences franco-manitobaines et franco-métisses dans le sud-est du Manitoba. J’avais besoin de faire plus de recherches sur l’histoire francophone et métisse du 19e et 20e siècle. Donc, tous ces éléments se sont alignés pour moi et ça a poussé mon envie d’aller plus loin. »
Plongée historique
En allant plus loin, Matthew Tétreault remarque donc plusieurs choses : les écrits n’ont pas été renouvelés depuis longtemps, parfois même pas produits par des personnes métisses, et sont peu accessibles. Ces raisons sont notamment à l’origine de sa thèse, intitulée Red River Poetics: Toward a Métis Literary History. C’est un survol de 200 ans de littérature et d’écriture métisse en anglais et en français. « Après la résistance de 1885, ce n’était pas sécuritaire de s’identifier comme métis. Et puis, à ce moment-là, il fallait faire passer la survie économique avant la survie culturelle. Mais malgré tout, il y avait des efforts littéraires pour protéger la culture, je pense, aux gens de l’Union nationale métisse Saint- Joseph du Manitoba.
« Cependant, il y avait des fractures dans la Nation, les communautés ne se parlaient pas autant, la langue française diminuait significativement. Au point qu’aujourd’hui, la majorité des Métis ne parle pas le français. Tous ces éléments ont ensuite impacté mon roman, mon côté créatif et académique. »
Originaire de Sainte-Anne, Matthew Tétreault trouve une grande partie de son inspiration littéraire dans cette partie de la province. Hold Your Tongue est donc le roman sur lequel travaille Matthew Tétreault, qui a un doctorat en anglais et études cinématographiques de l’Université de l’Alberta. Il est disponible en ligne, mais une version papier plus enrichie et plus complète sera présentée au printemps.
C’est une oeuvre de fiction qui mélange plusieurs langues : l’anglais, le français et le mitchif. « C’est une place très inspirante. Ça explique aussi pourquoi il y a tant de grands auteurs qui viennent du Manitoba. C’est le mélange de cultures et d’expériences qu’on a ici qui forme cette expression artistique. »
Les Métis aujourd’hui
Hold Your Tongue interroge donc profondément sur l’identité métisse. Les premières questions du livre sont : « Qui sont les Métis aujourd’hui? Qui est dedans et qui est dehors? » Ce choix d’introduction est tout sauf anodin pour Matthew Tétreault. « On parle ici des Métis de la Rivière Rouge. Ils sont connectés historiquement aux Métis du 19e siècle de la Rivière Rouge. Ce sont les Métis de l’Ouest canadien. Il y a des pertes d’identités, de langues et de cultures au 20e siècle. « L’une des complications qu’on a aujourd’hui c’est que certaines personnes s’identifient métis sans comprendre les implications, sans lier le mot à la culture et à l’histoire politique de la région de la Rivière Rouge. »
Matthew Tétreault rappelle aussi qu’avoir ces réponses à ces questions sont aussi importantes pour les demandes politiques de la Nation métisse d’aujourd’hui. « Il y a des questions de territoires, de développement économique qui sont essentielles pour les droits accordés. Mais c’est utile aussi pour savoir qui n’est pas métis. Si certains réclament des droits auxquels ils n’ont en réalité pas accès, ça cause des problèmes et peut s’apparenter à une autre forme de colonisation. »
Après ces longues recherches, Matthew Tétreault ne compte pas s’arrêter là. Il a lancé un postdoc avec l’Université de Toronto. L’auteur a encore des idées de fictions, mais aussi des projets académiques. Matthew Tétreault a aussi l’envie d’une anthologie d’écriture métisse. « Il y aurait une histoire très grande qui partirait de Pierre Falcon au début du 19e siècle jusqu’aux écrivains actuels. J’aimerais ça avoir un livre qui représente toute l’histoire, les gens pourraient tourner les pages et voir ce que chacun a écrit. »
- Matthew Tétreault: Marta Guerrero