Du 5 au 8 janvier 2023 se tenait la 8e conférence internationale sur l’éducation (IAFOR) à Honolulu, Hawaii. Une conférence scientifique à laquelle Marie-Josée Morneau, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Saint-Boniface (USB) a participé. Loin de la neige manitobaine, elle a présenté devant ses pairs le sujet de sa recherche : L’utilisation du langage comme outil cognitif en classe d’immersion française.
C’est une observation assez simple qui marque le point de départ des recherches de Marie-Josée Morneau : en classe d’immersion française, les élèves dont le français n’est pas la langue première ont un vocabulaire particulièrement limité en mathématiques. « Si l’on regarde les compétences requises sur les bulletins de maternelle à la 8e année au Manitoba, lance la professeure, il est attendu des élèves qu’ils soient en mesure d’expliquer et de justifier leur raisonnement mathématique en français.
« J’ai donc voulu savoir comment on pouvait les outiller pour qu’ils soient capables de communiquer le mieux possible. Car s’ils ont généralement de bonnes compétences en compréhension. C’est la production orale qui est plus difficile. »
Cela signifie qu’en classe d’immersion, pour que les élèves puissent avoir recours à un vocabulaire mathématique précis pour expliquer leur raisonnement en phrases complètes, il faut enseigner la langue en même temps que la matière.
Une approche socioconstructiviste
La chercheuse a donc mené l’expérience dans une école rurale ici, au Manitoba, auprès d’enfants de 7e et 8e année d’environ 12 ans en se focalisant sur les concepts de géométrie. Pendant une période de six semaines, Marie-Josée Morneau a pu suivre deux classes d’une dizaine d’élèves chacune. Pour la classe test, l’enseignant a mis en place des techniques de littératie pour son cours de mathématiques. « Ces élèves-là ont eu accès à un vocabulaire spécifique et des bouts de phrases lors de différentes activités interactives. Enfin, de manière générale, la communication orale a été fortement encouragée au sein du cours. » Dans la deuxième, l’enseignant a suivi le programme classique.
Au sein de la classe test, c’est une approche socioconstructiviste (1) qui est favorisée. Car comme le dit Marie-Josée Morneau : « Les mathématiques ne s’apprennent pas en silence. » La Manitobaine regrette d’ailleurs la manière dont les interactions sociales diminuent avec le temps dans les salles de classe, selon elle, c’est contre-productif : « En classe d’immersion française, lors des premières années de scolarité, 80 à 100 % de l’apprentissage se fait à l’oral. Seulement plus ils grandissent, moins les jeunes ont la chance de s’exprimer en cours et cela va à l’encontre des pratiques qu’il faut privilégier pour l’apprentissage des mathématiques et d’une autre langue. »
Afin d’évaluer les résultats de son expérience, la professeure a mené des entretiens avec les élèves avant et après la période de six semaines.
« Je leur ai posé des questions ouvertes, ils devaient aussi résoudre des problèmes. J’ai été accompagnée d’une personne qui ne savait pas quels élèves étaient en classe test. »
Des résultats significatifs
À travers la mise en place d’un barème de point dans lequel Marie-Josée Morneau a pris en compte la complexité et la structure des phrases, le vocabulaire employé ainsi que la fréquence d’utilisation du franglais, l’expérience a permis de récolter des résultats dits « significatifs » sur lesquels la chercheuse revient : « J’ai fait ressortir que les élèves les plus faibles en mathématiques et en communication orale sont ceux qui ont montré le plus de progrès, en particulier ce qui touche la structure des phrases. »
Celle qui enseigne à l’USB souligne qu’il faut prendre en compte le fait que l’étude ait été réalisée sur un petit échantillon. « Malgré ces limites, les résultats sont là et les données nous permettent de mieux comprendre le profil de nos élèves. »
Sa recherche l’a aussi amenée à porter un regard critique sur le système d’éducation actuel en classe de mathématiques. « Comme recommandé par la Province, l’enseignement devrait se faire en spirale. Le problème, c’est que lorsque les sujets abordés ne reviennent plus dans le cursus, les mots sont oubliés avec le temps. »
Dans le meilleur des mondes, Marie-Josée Morneau aurait souhaité pouvoir mener son étude sur un laps de temps plus important, « sur un ou deux ans ».
Cependant, elle l’assure, « l’expérience est vraiment positive. » et a permis de démontrer que d’associer l’étude des mathématiques à l’étude de la langue permet aux élèves de faire de beaux progrès dans l’une et l’autre des disciplines.
Finalement, même si ce n’était pas la première fois qu’elle présentait le résultat de ses recherches devant ses pairs, la conférence internationale sur l’éducation, lui a permis de mettre en lumière le programme d’immersion française au Canada et de démontrer l’importance de cibler l’apprentissage de la langue à travers les matières enseignées en rappelant que les enseignants en classes d’immersion sont aussi des enseignants de langue.
(1) Une approche qui met l’accent sur le contact avec les autres dans la construction des connaissances et le développement des compétences
- Marie-Josée Morneau: Marta Guerrero