Marine Ernoult
La nuit, vus de l’espace, les rivages de l’ouest du lac Ontario brillent comme un réseau de lucioles.
Le quart de la population canadienne se concentre dans la région métropolitaine, qui s’étire d’Oshawa à Niagara Falls, en passant par le Grand Toronto. La zone, appelée le Golden Horseshoe, constitue la plus grande aire urbaine du pays et connait la croissance démographique la plus importante d’Amérique du Nord.
« Cette urbanisation galopante comporte de nombreux risques pour la santé du lac », estime Paul Sibley, professeur à l’École des sciences de l’environnement de l’Université de Guelph, en Ontario. Le scientifique voit l’imperméabilisation des sols comme la première des menaces.
Les espaces naturels sont artificialisés pour construire des routes, des stationnements, des logements ou encore de zones commerciales. Résultat, les eaux de pluie et celles issues de la fonte des neiges ne s’infiltrent plus correctement dans le sol.
« La totalité de l’eau ruissèle à la surface, en charriant de nombreux produits chimiques toxiques jusque dans le lac », alerte Andrea Kirkwood, professeure de biologie à l’Université Ontario Tech.
Bétonisation à outrance
La biologiste cite le sel de déneigement utilisé sur les routes, mais aussi des particules comme le cuivre, le zinc ou le chrome produites par l’usure des freins et des pneus des voitures : « Même si on arrêtait aujourd’hui d’épandre du sel ou d’utiliser nos voitures, il faudrait des décennies pour que ces contaminants accumulés dans le lac disparaissent. »
L’étalement urbain n’est pourtant pas prêt de s’arrêter. En novembre 2022, le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario a adopté une nouvelle législation qui permettra de construire 1,5 million de logements en dix ans, en libérant des terrains jugés auparavant inconstructibles.
« Des zones humides lacustres, autour de Toronto notamment, vont être détruites. Elles vont être drainées et céder la place à du béton », dénonce Andrea Kirkwood.
La biologiste rappelle que ces zones humides filtrent une partie de la pollution et jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les inondations et l’atténuation du changement climatique. Elles captent en effet de grandes quantités de carbone, régulant ainsi les émissions de gaz à effet de serre.
L’eau que relâchent les stations d’épuration à proximité du lac n’est pas non plus pure comme celle d’une source de montagne. Même après traitement, les millions de mètres cubes rejetés chaque année contiennent encore des molécules nocives pour les milieux aquatiques, comme des résidus de médicaments, dangereux pour la faune.
Systèmes d’égouts vulnérables
Pour tenter de limiter au maximum les quantités de polluants déversées dans la nature, « les stations d’épuration, notamment les plus anciennes, sont constamment modernisées », assure Gail Krantzberg, professeure d’ingénierie et de politique publique à l’Université McMaster, en Ontario.
Mais face à l’augmentation constante de la population, les stations d’épuration existantes ne seront pas suffisantes : « Ça va couter des millions de dollars pour réussir à mettre au point des procédés de traitement supplémentaires. »
La question des eaux usées préoccupe d’autant plus la communauté scientifique que les systèmes d’égouts sont vulnérables aux inondations et aux tempêtes, dont l’intensité et la fréquence augmentent à cause du réchauffement climatique.
Gail Krantzberg explique que dans de nombreuses villes autour du lac Ontario, les eaux usées se mélangent avec l’eau de pluie dans une seule canalisation, avant d’être traitées puis rejetées dans l’environnement.
Conséquence, en cas de forte pluie, les égouts débordent et des millions de litres d’eau non traitée vont directement dans les cours d’eau et le lac.
« Ces débordements risquent d’arriver de plus en plus souvent et peuvent mettre en danger la population. Des refoulements d’eaux usées peuvent causer des dommages aux habitations, et des bactéries peuvent contaminer l’eau potable », souligne Gail Krantzberg.
La pollution plastique inquiète également de plus en plus scientifiques et écologistes. On estime que 10 000 tonnes de déchets plastiques pénètrent dans les Grands Lacs chaque année.
Mer de plastique
« Le lac Ontario est le plus touché à cause de sa proximité avec de grands centres urbains. On y trouve principalement des microplastiques, d’une taille inférieure à 5 millimètres », précise Melissa De Young, directrice des politiques et des programmes à l’organisation environnementalePollution Probe.
« Comme les microplastiques mettent très longtemps à se décomposer, leur concentration ne cesse d’augmenter. Les effets sont potentiellement désastreux. Il y a une limite à la pollution que l’écosystème peut absorber », ajoute Rochelle Byrne, directrice générale de l’association écologiste A Greener Future.
Alors que le lac Ontario est une source d’eau potable pour plus de 9 millions de personnes des deux côtés de la frontière, tous les acteurs interrogés insistent sur l’urgence de rétablir le lien entre les habitants et le lac.
« Dans le passé, on a concentré une grande partie des terrains industriels en bordure de lac, ce qui a physiquement déconnecté les communautés du bord de l’eau. Loin des yeux, loin du cœur », philosophe Gregary Ford, directeur des programmes relatifs à l’eau de l’organisation environnementale Swim, Drink, Fish.
« Les gens ne savent pas d’où vient l’eau du robinet et où part ce qu’ils versent dans leurs éviers et leurs douches. Il faut attendre une crise pour qu’ils commencent à s’y intéresser », concède Paul Sibley.
Rochelle Byrne abonde dans le même sens : « Une grande partie de la pollution reste sous l’eau, loin des regards ».
Elle se veut cependant optimiste. « Une lente prise de conscience émerge », avance la militante.
L’association Swim, Drink, Fish y travaille en créant de nouveaux lieux de baignade, ou en mettant sur pied des centres communautaires de surveillance de la qualité de l’eau.