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La maladie débilitante chronique (MDC), une maladie cérébrale dégénérative incurable et contagieuse qui touche les cervidés, particulièrement les cerfs mulets, s’étend à la population des cerfs de Virginie, au Manitoba.
Le gouvernement provincial a annoncé, le 6 mars, un premier cas de MDC détecté chez un cerf de Virginie, ainsi que de nouveaux autres cas enregistrés parmi les cerfs mulets.
Un bilan actualisé et arrêté au 7 mars, mis à la disposition de La Liberté par la direction des communications du gouvernement, fait plutôt état de l’infection de deux cerfs de Virginie et exactement 13 cerfs mulets, dont une femelle.
Nouveaux cas
« Les nouveaux cas ont été découverts au nord de Roblin et à l’ouest de Melita », précise un porte-parole du gouvernement.
Avec les 5 cerfs mulets mâles testés positifs entre novembre 2021, date de l’apparition de la maladie dans la province, et l’année 2022, le nombre des cervidés infectés par la MDC est porté à 20 cas au Manitoba.
Une situation qui inquiète fortement l’organisme sans but lucratif Manitoba Wildlife Federation (MWF), la plus grande organisation de conservation de la province représentant les intérêts des chasseurs, pêcheurs, trappeurs et tireurs sportifs. Fondée en 1944, la MWF compte 15 000 membres répartis sur 100 clubs affiliés.
« Nous pensions que cela arriverait probablement à un moment ou à un autre, car la population de cerfs mulets, principaux porteurs de la maladie, augmente progressivement au Manitoba. La maladie touche maintenant les cerfs de Virginie et cela est inquiétant », indique Chris Heald, directeur exécutif à MWF.
La chasse des cerfs mulets est interdite au Manitoba, comme l’espèce est protégée. Cependant, dans le but de limiter la propagation de la maladie, des campagnes de chasse ont été exceptionnellement organisées par le gouvernement à partir de 2021, le long de la frontière avec la Saskatchewan et à la frontière avec les États-Unis. Les deux zones où ont été découverts les tout premiers cas.
Les risques sur les humains?
Selon le centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) du Canada, les symptômes de cette maladie peuvent prendre plus d’un an avant d’apparaître chez un animal infecté.
« Les symptômes peuvent inclure une perte de poids drastique (émaciation), des trébuchements, de l’apathie et d’autres symptômes neurologiques. La MDC peut toucher des animaux de tous âges et certains animaux infectés peuvent mourir sans jamais développer la maladie. La MDC est mortelle pour les animaux et il n’existe aucun traitement, ni vaccin », précise le CDC.
À ce jour, aucun cas d’infection par la MDC chez l’humain n’a été signalé, mais l’organisme fédéral affirme que certaines études animales suggèrent que la maladie présente un risque pour certains types de primates, comme les singes, qui mangent de la viande d’animaux infectés.
« Ces études font craindre qu’il puisse également y avoir un risque pour les personnes. Depuis 1997, l’Organisation mondiale de la santé recommande qu’il est important d’empêcher les agents de toutes les maladies à prions connues d’entrer dans la chaîne alimentaire humaine », rappelle le CDC.
Le professeur en zoologie et microbiologie à l’Université de Saint-Boniface (USB), Ibrahima Diallo, est lui pour le « principe de précaution ».
« Ce n’est pas parce que la transmission entre l’animal et l’humain n’est pas encore établie, que le risque n’est pas là. Il faut faire très attention et de se méfier de ces éléments infectieux », prévient-il.
Il explique que la MDC fait partie des maladies à prions , un type de protéine dont la conformation ou le repliement est anormal et peut contaminer d’autres variantes saines de la même protéine, causant des maladies neurodégénératives.
« C’est de la même famille que la maladie de la tremblante chez les moutons, la maladie de la vache folle chez les bovins et la maladie du Kuru qui touche les humains. On détecte des trous microscopiques dans le cerveau de l’animal ou de l’humain, comme c’est le cas dans une éponge », explique-t-il. (1)« La MDC est présente dans les neurones cérébraux et dans la moelle épinière. Comme les nerfs vont partout, les prions peuvent aussi aller partout », explique Ibrahima Diallo, qui recommande aux chasseurs d’attendre les résultats des analyses, avant de consommer ou commercialiser leurs prises, même si les délais sont particulièrement longs.
La problématique des délais
Dans certaines régions du Manitoba, aux frontières avec la Saskatchewan et les États Unis, les chasseurs ont l’obligation de remettre les têtes des cervidés à un organisme gouverne-mental du nom de Dauphin Wildlife Health Laboratory. Celui-ci effectue des prélèvements et les achemine vers d’autres laboratoires spécialisés en dehors de la province. Les délais des analyses varient actuellement entre 16 et 20 semaines.
« Ces délais sont inacceptables. Une fois que la province aura rattrapé son retard en matière de tests et qu’un plan provincial aura été finalisé, nous nous attendons à ce que les chasseurs jouent un rôle clé dans l’endiguement de la maladie », clame Chris Heald.
En attendant, Ibrahima Diallo est sans appel sur la question des délais pour obtenir les résultats d’analyse. Le risque de consommer de la viande infectée est trop important.
« Je pars du principe que ce qui a touché ces animaux, pourrait, jusqu’à preuve du contraire, se transmettre à un autre organisme qui a mangé l’animal infecté. Dans ce cas de figure, le processus d’incubation est particulièrement lent. Cela peut prendre des années avant que la maladie n’apparaisse », avertit-il.
Le professeur en micro-biologie assimile ce risque à « un saut dans l’inconnu ».
Dans le cas où la MDC se transmettrait à l’humain, « ce ne sont pas des maladies dont nous pouvons guérir. Une fois que le processus est là, nous dégénérons tranquillement », alerte-t-il.
Un manque de moyens?
Selon la direction des communications du gouvernement, la province ne compte, en effet, aucun laboratoire de dépistage de la maladie débilitante chronique.
« Il existe des exigences strictes pour être accrédité pour ces tests très spécifiques », précise le porte-parole du gouvernement.
L’organisme Dauphin Wildlife Health Laboratory se limite ainsi à effectuer le processus nécessaire précédant l’analyse des échantillons.
« Le personnel prélève et confirme les échantillons des tissus, des ganglions lymphatiques rétro-pharyngiens médians (RPLN) des cerfs mulets et des cerfs de Virginie. L’âge de l’animal est estimé et les données soumises par les chasseurs, notamment le lieu et la date de l’abattage, sont notés », explique la source gouvernementale.
Les échantillons sont ensuite envoyés, entre autres, dans un laboratoire de l’Agence canadienne d’inspection des aliments en Ontario, précisément à Ottawa.
« Nous travaillons avec un certain nombre de laboratoires canadiens publics et privés qui sont accrédités pour effectuer la procédure spécialisée de dépistage de la MDC, pour achever le traitement des échantillons soumis au cours de la saison de chasse 2022-2023 », fait savoir le porte-parole du gouvernement.
Afflux d’échantillons
Les échantillons sont généralement soumis à l’automne, de septembre à janvier, et la majorité d’entre eux sont déposés en novembre pendant la saison de chasse avec permis général (carabine).
« Pour le seul mois de novembre 2022, les chasseurs ont soumis 5 511 échantillons sur un total de 5 878 échantillons de cervidés pour l’année entière. Avec cet afflux d’échantillons dans un délai relativement court pour leur traitement, la confirmation des données et la capacité des laboratoires externes a entrainé des retards importants dans la communication des résultats d’analyse », soutient le porte-parole du gouvernement.
Selon lui, sur les 5 878 échantillons soumis, 3 881 se sont révélés négatifs et 15 se sont révélés positifs pour la maladie du dépérissement chronique. Les résultats de 1 982 autres échantillons sont en attente.
« Certains chasseurs pourraient attendre jusqu’à 20 semaines pour que les résultats des tests soient affichés en ligne, mais la province est déterminée à réduire ce retard et à produire les résultats dans un délai plus raisonnable. Le budget 2023 a prévu un montant supplémentaire de 880 000 $ pour soutenir l’amélioration des capacités de test et de surveillance », note la même source.
Le budget initial 2022-2023 est de 180 000 $.
Le budget supplémentaire de 880 000 $ permettra d’effectuer 6 000 tests d’échantillons de cervidés.
Plan provincial
En 2022, le gouvernement avait annoncé un premier budget supplémentaire de 220 000 $ au mois de mars et un deuxième financement supplémentaire de 350 000 $ au mois d’août, pour effectuer des tests.
Le directeur général de Manitoba Wildlife Federation, qui plaide pour un financement provincial accru pour réduire les temps d’attente, recommande au gouvernement de s’asseoir avec les principales parties prenantes et formuler un plan provincial « permanent » pour contenir la propagation de la maladie.
Des programmes proactifs pour la prévention et la surveillance de la MDC existent depuis 1997 au Manitoba, après son apparition en Saskatchewan. Les programmes visaient à empêcher l’entrée au Manitoba d’animaux et de matériel potentiellement porteurs de la maladie, ainsi que le regroupement d’animaux dans les zones à haut risque.
Un plan d’urgence a été également mis en place depuis novembre 2021, avec la détection des premiers cas dans la province. Il s’agit essentiellement d’une série d’exigences règlementaires et de restrictions, comme la fermeture temporaire de la chasse, l’interdiction de nourrir ou d’appâter les cervidés. Aussi, l’obligation de soumettre des échantillons au gouvernement.
Mais Chris Heald insiste, cependant, pour l’élaboration d’un plan à même d’éradiquer la maladie. « Le plan provincial doit évoluer maintenant que les cerfs de Virginie ont été infectés. L’augmentation des prélèvements par les chasseurs sera un élément clé de tout plan à venir », souhaite-t-il.
Quotas de chasse
La MWF s’attend évidemment à une augmentation des quotas de chasse des cervidés. Mais cela reste-t-il le meilleur moyen pour venir à bout de la maladie?
Carl A. Gagnon, président du Comité d’éthique de l’utilisation des animaux (CÉUA) à l’Université de Montréal, con-sidère que la question porte sur deux aspects : est-ce que c’est une bonne stratégie pour contrôler une maladie infectieuse versus est-ce que c’est une approche éthique?
« Par principe, si nous diminuons les individus dans une population, nous diminuons inévitablement le risque de transmission. Donc, au niveau infectiologie, la démarche peut être appropriée. Sur le plan éthique, la question que nous devons se poser est de savoir qu’elle est la méthode que nous pouvons employer pour moins stresser l’animal et le faire moins souffrir », explique celui qui est notamment professeur titulaire à la Faculté de médecine vétérinaire, au département de pathologie et microbiologie de l’Université de Montréal.
Le Pr Carl A. Gagnon relève un autre point. « C’est bien de vouloir éliminer une maladie infectieuse, mais si l’espèce touchée est en voie de disparition, ce serait regrettable d’abattre des animaux sains. Ma démarche à moi serait de favoriser la survie de l’espèce. Maintenant, si la population est en surnombre, la question de sa survie n’est plus une question valable ».
Le gouvernement du Manitoba n’était pas en mesure de fournir à La Liberté une estimation de la population des cerfs mulets et des cerfs de Virginie dans la province.
(1) La maladie du Kuru a été détectée à partir des années 1920 chez une population aborigène, les Fore de la Nouvelle-Guinée, actuellement en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La science ne s’y est intéressée qu’à partir des années 1950. La transmission de la maladie a été reliée à des rites qui consistaient à se nourrir du corps d’un être proche ou d’un guerrier ennemi décédé, pour assimiler ses forces et son esprit.