Marianne Dépelteau
Être Autochtone au sein d’une majorité allochtone, être une personne noire ou de couleur dans un milieu blanc ou être un jeune inquiet de son avenir n’est pas toujours de tout repos. Pour faire valoir son existence et ses droits, il faut souvent montrer beaucoup de détermination et parfois se mobiliser pour manifester.
« Les membres des minorités sont conscients qu’à tout moment, leurs droits peuvent leur être facilement retirés et qu’ils doivent souvent faire des coups d’éclat pour pouvoir se faire entendre », explique Luc Turgeon, professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.
Pour lui, les mobilisations les plus marquantes, comme les grandes manifestations, sont le fruit d’inégalités.
Il s’agit de moyens de « dernier recours » : « C’est parce qu’on n’a pas accès, comme les membres de la majorité publique, à des recours plus traditionnels au sein des institutions politiques en place. »
Or, assez paradoxalement, les inégalités peuvent aussi représenter un frein à la mobilisation. « Quand on n’a pas accès à des besoins de base, c’est beaucoup plus difficile de se mobiliser politiquement, observe l’universitaire. Si on doit travailler 60 heures par semaine pour survivre, c’est sûr qu’on n’a pas les mêmes occasions. »
Activisme et écologie
Bill Jones fait partie de ceux qui n’hésitent pas à monter aux barricades. Lauréat du Prix Eugene-Rogers pour l’environnement en 2021, l’ainé de la Première Nation des Pacheedahts en Colombie-Britannique et ancien bucheron milite contre l’exploitation forestière dans cette province depuis plusieurs années.
« Je n’ai pas accordé un grand intérêt à l’activisme écologique jusqu’en 2012, quand je me suis engagé dans ce que nous appelons la lutte de Walbran. Je me suis joint à un groupe appelé les Friends of Walbran et nous avons fait des lignes de piquetage, des barrages routiers, des barricades pendant longtemps. »
En 2020, il a rejoint la manifestation contre l’exploitation des forêts anciennes à Fairy Creek, où il a été confronté à une répression musclée. « Il y a eu beaucoup de violence, d’intimidation et de harcèlement. »
Il raconte que « l’injonction est arrivée et la police a commencé à intensifier sa violence contre les manifestants, les écogardiens de la forêt, et nous nous sommes retrouvés avec, il me semble, quelque 1100 arrestations et un millier d’accusations en cours. »
Selon lui, cette série d’évènements lui a permis de comprendre l’aspect politique de sa vie. « Tout est politique en ce qui concerne les relations familiales et la résidence. Même votre chat est politique. Vos relations avec vos voisins sont des outils politiques qui seront utilisés pour limiter l’infrastructure politique des réserves [autochtones]. »
« [À cause de] l’expérience des pensionnats, la plupart des Premières Nations de ma génération ont appris à se méfier, confie le diplômé de 1959 du Pensionnat indien d’Alberni, sur l’ile de Victoria. C’est encore une structure des relations raciales au Canada en raison de la connotation politique de ce que veut dire être Indien. »
Militer envers et contre tout
Bill Jones est bien conscient des foudres qu’il s’attire par ses actions. « Je ne suis pas un homme très populaire, et je sens que je suis peut-être même en danger parfois parce que je suis d’avis que nous devons faire les choses un peu différemment si nous voulons sauver les longues luttes pour nos droits et notre liberté qui sont maintenant continuellement bafoués. »
En invitant des manifestants dans le territoire traditionnel de la nation Pacheedaht, Bill Jones a parfois été une épine dans le pied du conseil de bande, qui ne voulait pas de leur présence.
Dans une lettre de 2021, il insiste sur le fait que « les personnes de tous les âges, genres, races, cultures et classes sociales doivent marcher ensemble pour contribuer à la guérison des blessures causées par le colonialisme et la destruction environnementale ».
Et les jeunes dans tout ça?
Olivier Hussein ne craint pas non plus de s’engager sur le plan politique, et ce, malgré son jeune âge.
Originaire de la République démocratique du Congo, il est arrivé à Moncton en 2009. Au Nouveau-Brunswick, il a été bénévole dans plusieurs organismes francophones pour favoriser l’accueil et l’intégration des immigrants et des réfugiés.
« Je pense que c’est ma personnalité, qui je suis en tant que personne, analyse-t-il. Je suis humanitaire, je suis une personne qui connait les différents enjeux qui touchent surtout les personnes racisées. Étant moi-même issu de la communauté racisée, il y a beaucoup d’enjeux auxquels nous faisons face […] beaucoup de barrières systémiques. »
Selon lui, « ça prend des jeunes qui ont [du] dévouement. Il ne faut pas avoir peur. Je dirais que la peur doit quitter l’esprit de certaines personnes parce que je sais que souvent il y a des jeunes qui ont tendance à avoir la peur de pouvoir aller s’impliquer. »
Olivier Hussein s’est aussi engagé en politique et appelle un plus grand nombre de jeunes à faire de même. « Les jeunes ont cette tendance de pouvoir changer les choses. On le voit notamment au niveau de nos gouvernements, il y a beaucoup de jeunes impliqués. Pourquoi pas aussi voir plus de jeunes ministres? »
« Je vais mettre l’accent sur les jeunes issus des communautés racisées, donc les jeunes Noirs, les jeunes Autochtones. Il faut que nos politiques, nos gouvernements, donnent plus d’opportunités à ces jeunes pour pouvoir s’exprimer », déclare-t-il.
Le militant voit d’ailleurs un lien entre les combats des personnes autochtones, noires et acadiennes : « [La communauté acadienne] a beaucoup milité pour la francophonie, pour avoir le français, pour avoir ce privilège et cette fierté d’avoir la langue française comme deuxième langue de cette province. »
Parler une langue, un geste politique?
« La francophonie, c’est vraiment un combat, c’est quelque chose qui me tient à cœur », poursuit Olivier Hussein.
Pour Michelle Landry, professeure de sociologie à l’Université de Moncton, être francophone en milieu minoritaire et vivre en français, c’est déjà devoir faire des choix au quotidien, « que ce soit d’inscrire nos enfants à l’école en français ou de demander un service en français gouvernemental ou dans un commerce ; on ne prend pas la voie la plus facile ».
Différentes raisons peuvent motiver une personne à choisir le français en milieu linguistique minoritaire : « Ça peut être des influences familiales, à l’école […] un évènement dans la vie de quelqu’un, une histoire de vie personnelle, des rencontres, des occasions. »
« Il y a toutes les activités aussi qui sont organisées dans la francophonie canadienne, que ce soit les Jeux de la francophonie, les Jeux de l’Acadie, les camps de leadeurship. Il y a toutes sortes d’évènements qui visent à consolider l’identité, mais aussi l’engagement », renchérit la sociologue.
Mais les questions de la francophonie se cachent souvent derrière d’autres causes. « Souvent, les militants, les groupes et autres personnes engagées vont se rendre compte des enjeux de pouvoir au sein même de leur secteur d’intérêt, par exemple, si on remarque qu’il y a peu de services aux femmes dans les régions francophones ou pour les personnes âgées. »