Dans les quartiers est de la ville, derrière la porte vitrée de la boulangerie Sweet C Bakery, c’est une drôle de rencontre qui a eu lieu. Derrière le comptoir et les rangées de pâtisseries colorées, dans la cuisine, là d’où vient l’odeur des croissants chauds. Emmanuel Battaglia et Olha Mistiuk portent tous deux le tablier. Rien ne les prédestinait à se rencontrer, encore moins à travailler dans le même atelier.
Olha Mistiuk est originaire d’Ukraine, Emmanuel Battaglia de France. Si les circonstances de leurs départs sont bien sûr incomparables, tous les deux ont quitté le pays qui les a vus naître pour se rencontrer, de l’autre côté du monde.
« C’est Olha qui s’est présentée à un moment où je n’avais pas vraiment besoin d’embaucher », raconte Emmanuel. Il jette alors un rapide coup d’oeil par-dessus son épaule en direction de la jeune ukrainienne dont les yeux sont occupés par ce que font ses mains sur le plan de travail. « Mais son histoire m’a touchée. »
Arrivée récente à Winnipeg
Olha Mistiuk est maman d’une petite fille de 11 ans, Yeva. Toutes les deux sont arrivées à Winnipeg le 23 novembre. Olha Mistiuk travaille dans la boulangerie d’Emmanuel Battaglia depuis un peu plus d’un mois. Petit détail cocasse à propos du duo : c’est en utilisant l’application Google traduction, que l’Ukrainienne et son patron communiquent, « google trad’ et le langage corporel aussi. » Le boulanger, en riant, ajoute : « Parfois, elle me fait des phrases entières en ukrainien comme si je le parlais parfaitement! »
On pourrait penser que cette difficulté à communiquer serait un véritable handicap au bon fonctionnement de la boulangerie. Et pourtant… « Il y a des erreurs parfois parce que je pense qu’elle a compris quelque chose. Mais rien de grave. On s’adapte, si elle fait rouge au lieu de blanc et bien nous ferons rouge aujourd’hui et blanc demain. »
La Liberté aussi a dû s’en remettre à Internet pour lire et comprendre l’histoire d’Olha Mistiuk.
Mais pour la jeune femme, pas question de sortir de la cuisine avant d’avoir terminé ce qu’elle a commencé. Sans même lancer un regard dans notre direction, elle s’attelle minu-tieusement à faire fonctionner une machine qui ressemble à un grand mélangeur. « Ça la gêne de prendre sur son temps de travail. » Alors en ayant recours à un peu d’anglais et de grands gestes, le propriétaire de l’établissement finit par convaincre Olha Mistiuk de s’asseoir sur l’une des petites tables qui ornent l’entrée de la boutique.
Olha Mistiuk s’est alors mise à taper son histoire sur le petit écran de son téléphone. Interrompant parfois le silence pour regarder son interlocuteur et prononcer de courtes phrases dans sa langue natale.
« J’ai été victime de beaucoup de rejet en cherchant du travail. Beaucoup de pleurs. »
Olha Mistiuk
Entretien muet
Comme si certaines choses méritaient d’être dites à voix haute. Que faute d’être comprises, elles devaient au moins être entendues.
Après avoir pris son temps, elle fait glisser son téléphone sur la table. Sur l’écran, en petites lettres noires : « Quand tu te promènes dans la rue avec ton enfant et que des avions de chasse te survolent. Quand ton enfant se réveille en pleine nuit au bruit des bombes. »
« C’est pour cela que tu n’as pas hésité à partir? » Avec un signe de la tête, Olha Mistiuk laisse deviner qu’elle a compris la question. Sa réponse, écrite toujours, arrive beaucoup plus vite cette fois, peut-être parce qu’elle est évidente pour la jeune femme : « J’ai investi beaucoup de temps et d’argent dans notre vie en Ukraine. » En effet, Olha Mistiuk était à la tête de sa propre entreprise, elle vivait dans une belle maison près du Dniepr et le reste de sa famille est toujours là-bas, « mais ma vie, c’est ma fille ».
Aujourd’hui, elle se dit heureuse de travailler ici à Winnipeg. Même si les débuts ont été compliqués, barrière de la langue oblige : « J’ai été victime de beaucoup de rejet en cherchant du travail. Beaucoup de pleurs. »
Et ce travail finalement, il lui convient parfaitement comme le confirme Emmanuel Battaglia : « On sent qu’elle sait ce qu’elle fait, parfois elle sait même mieux que moi, elle m’apprend des choses (rires)! »
Olha Mistiuk fait de la pâtisserie depuis 14 ans, une partie de son travail en Ukraine consistait en la confection de gâteaux.
« Travailler avec elle, ça m’apporte beaucoup dans le boulot, mais aussi sur le plan humain. C’est comme si je rencontrais quelqu’un de nouveau tous les jours! »
S’ils ne parlent pas encore la même langue, les deux pâtissiers se comprennent de mieux en mieux, de jour en jour. Le patron admet même qu’il commence à comprendre quelques mots d’ukrainien! Et l’inverse s’applique sûrement aussi.
Il est bien sûr malheureux que ce ne soit pas la passion de la pâtisserie qui ait rassemblé les deux individus, mais c’est peut-être elle qui prolongera leur coopération dans l’atelier de Sweet C Bakery.