Marine Ernoult
L’odeur « réconfortante » de l’aréna, le crissement des patins, le maniement du bâton, le glissement de l’anneau à toute allure. Lorsque Mariève Vandervoort parle de ringuette, elle est intarissable.
La Franco-Ontarienne de 25 ans a tant à dire qu’elle ne sait pas par où commencer. Celle qui joue à la ringuette depuis l’âge de 7 ans évoque, la voix empreinte d’émotions, la sensation de vitesse enivrante quand elle file sur la glace.
« C’est une parenthèse unique de liberté, je rentre dans un autre monde, je suis complètement déconnectée des préoccupations de la vie quotidienne, j’oublie tout, je suis juste dans le moment présent », confie sans reprendre son souffle la capitaine de l’équipe de ringuette de l’Université d’Ottawa, également doctorante en psychologie clinique.
Mariève Vandervoort fait partie des 30 000 personnes au Canada qui jouent à la ringuette. Ce sport féminin est né il y a soixante ans à North Bay, en Ontario. Derrière le concept, Sam Jack qui l’a conçu pour ses filles, déclarées persona non grata sur les patinoires de hockey. « C’est né en réaction au sexisme envers les femmes », considère Mariève Vandervoort.
« Miser sur le collectif »
Sur la glace, deux équipes féminines s’affrontent à six contre six : une joueuse de centre, deux ailières, deux défenseures, et une gardienne de but. Si ces positions sont les mêmes qu’au hockey, la ringuette s’en distingue par bien des aspects.
Elle se pratique avec un anneau plutôt qu’une rondelle, et toute mise en échec est interdite. À l’approche des deux lignes bleues qui divisent la glace en trois parties, les joueuses ont également l’obligation de passer l’anneau à une coéquipière.
« C’est beaucoup plus rapide et collaboratif que le hockey. Si l’on veut gagner, on doit miser sur le collectif et ne jamais arrêter de se faire des passes », souligne Geneviève Belliveau, joueuse de ringuette depuis douze ans, étudiante en éducation physique à l’Université de Moncton. L’Acadienne de 19 ans est membre de l’équipe du Nouveau-Brunswick pour les Jeux d’hiver du Canada, qui se tiennent à l’Île-du-Prince-Édouard à partir du 18 février.
«Bien sûr, on a l’esprit de compétition, mais c’est beaucoup moins violent et agressif que le hockey masculin. Personne ne se frappe, les règlements l’interdisent », poursuit Natalie Caron, étudiante de 20 ans à l’Université du Nouveau-Brunswick et membre de l’équipe de l’Île-du-Prince-Édouard, également en compétition aux Jeux d’hiver du Canada.
Ces deux mordues sont tombées dans la ringuette alors qu’elles étaient toutes petites. « J’ai embarqué sur la glace et enfilé mes premiers patins à 7 ans avec mon père », raconte Geneviève Belliveau. Même histoire de famille du côté de Natalie Caron, qui vit pour la ringuette depuis ses huit ans avec son père et sa sœur.
Discipline et confiance en soi
Au-delà du frisson sur la glace, les joueuses insistent sur l’incidence positive de la ringuette dans leur vie personnelle. Constance, persévérance, rigueur, esprit d’équipe, autant de valeurs et de compétences apprises dans l’aréna qu’elles mettent en application dans leur travail et leurs études.
« Ça nous apprend l’entraide. On doit être engagées envers nos coéquipières. On ne peut pas se permettre de laisser tomber des personnes qui comptent sur nous », observe Mariève Vandervoort.
« [Les joueuses] développent des qualités de leadeurship, d’affirmation de soi. Elles savent vivre avec l’échec et faire face à l’adversité », ajoute Guylaine Demers, professeure titulaire au Département d’éducation physique de l’Université Laval, à Québec. Comme elles se rendent compte de la résilience de leur corps, les joueuses gagnent par ailleurs en confiance en dehors de la piste.
Geneviève, Mariève et Natalie mentionnent aussi les amitiés durables forgées grâce à la ringuette. « C’est plus qu’un sport, mes coéquipières sont mes meilleures amies », témoigne Geneviève Belliveau.
L’universitaire Guylaine Demers estime que cet aspect social de la pratique sportive est particulièrement important pour les filles. Elles courent ainsi moins de risque d’abandonner.
« L’environnement féminin rassure les parents », ajoute la spécialiste. Parce que ce sont majoritairement des femmes sur la glace et aux postes de direction, le milieu est « plus sécuritaire et respectueux » et le « risque d’abus et de harcèlement est moindre », explique-t-elle.
Déconstruire les stéréotypes de la féminité
Malgré son absence des écrans de télévision et des grands évènements sportifs mondiaux, la ringuette jouit d’une popularité grandissante. En 2022, année post-COVID, les inscriptions ont grimpé de 12 %, d’après Julie Vézina, directrice générale de Ringuette Canada. Hors Québec, le plus grand nombre de participants se concentre en Ontario et en Alberta.
« Les Jeux d’hiver du Canada nous offrent aussi une visibilité unique », précise Julie Vézina. Lors de la dernière édition, en 2019, la finale de ringuette a été l’évènement le plus regardé de la diffusion en continu.
Une victoire pour cette discipline qui, selon Guylaine Demers, déconstruit les stéréotypes de la féminité et défait l’idée d’une fragilité du corps féminin qu’il faut protéger. Les joueuses peuvent se réapproprier leur corps, assumer leur identité et éprouver leur force dans un environnement protégé.
« C’est un sport féministe dans le sens où des femmes fortes assurent des fonctions de direction et donnent de la voix, salue Guylaine Demers. Ce sont de vraies sources d’inspiration pour les jeunes générations. »
Un avis que partage Julie Vézina : « Le côté féministe fait partie intégrante de notre identité. C’est l’inverse des sports tels qu’on les connait aujourd’hui qui sont nés dans des milieux très masculins et se sont ensuite ouverts aux femmes. »
Ouvert aux garçons
À cet égard, l’inclusion des hommes représente un défi. Si les garçons ont désormais le droit de jouer à la ringuette, la situation varie fortement d’une région à l’autre. En Colombie-Britannique, où 15 % des affiliations sont masculines, il existe des divisions mixtes. En revanche, au Nouveau-Brunswick, les garçons ne sont pas autorisés à prendre part à des compétitions.
« On est ouvertes à plus de mixité, mais on garde une image de sport féminin. Il y a une certaine forme de discrimination, regrette Mariève Vandervoort. Les garçons s’associent plus au hockey. Si certains essaient, très peu continuent après leur puberté. »
Une fois leur diplôme en poche, les trois étudiantes ne comptent pas raccrocher leurs patins au vestiaire. Elles patineront tant que leur corps le leur permettra.
Quoi qu’il arrive, elles continueront à s’engager dans ce sport. Arbitrer, entrainer, créer de nouvelles ligues, elles ne manquent pas d’idées, «pour montrer aux nouvelles générations qu’en s’investissant à fond, avec tout son corps et son esprit, on peut faire de belles choses», conclut Geneviève Belliveau.