Inès Lombardo
Le député libéral de Mont-Royal, au Québec, Anthony Housefather, a fait comprendre que la « ligne rouge » pour faire basculer son vote avait déjà été franchie. Sa gêne principale : l’inclusion par le Bloc québécois de références à la Charte de la langue française dans la future Loi sur les langues officielles.
D’après lui, ces modifications ne rendent pas service aux communautés minoritaires anglophones du Québec, comme celle qu’il représente à Mont-Royal.
Le député compte notamment sur le renversement des amendements sur l’inclusion de la Charte de la langue française lorsque le projet de loi C-13 retournera en Chambre pour la troisième lecture. « C’est une option dans le règlement de la Chambre. Mais j’attends de voir la version finale de C-13 », a-t-il nuancé.
Le projet de loi C-13 est à l’étude en comité parlementaire depuis le 6 juin 2022. Il a passé les deux premières lectures de la Chambre et la première lecture du Sénat.
Après la séance du 14 février, les membres du Comité permanent avaient étudié 20 articles sur 71. Il reste deux séances et une heure pour l’étude des articles restants. Mardi soir, plusieurs membres du comité évoquaient la possibilité d’ajouter des séances pour avoir le temps d’étudier tous les articles.
D’autres députés libéraux québécois, comme Marc Garneau et Emmanuella Lambropoulos, avancent le même argument : attendre la version finale pour se prononcer. Mais au Comité permanent des langues officielles, leurs discours rappellent leur opposition au projet de loi dans son état actuel, pour les mêmes raisons que leur collègue Housefather.
D’autres députés entrainés?
Geneviève Tellier, professeure titulaire d’études politique à l’Université d’Ottawa, affirme que le risque que C-13 ne soit pas adopté en Chambre est « peu élevé ». Cependant, le fait qu’il y ait un doute pourrait amener d’autres députés, notamment des néodémocrates, à remettre leur vote en question. Précisément en raison de la référence à la Charte de la langue.
Niki Ashton, seule membre néodémocrate du Comité permanent des langues officielles, a d’ailleurs appuyé la mention de la Charte de la langue française proposée par le Bloc québécois. Cet « effet d’entrainement » évoqué par Geneviève Tellier pourrait notamment concerner des députés représentants des régions anglophones hors Québec. C’est pourquoi la balance n’est « pas claire » du côté du NPD.
Premier test pour Pierre Poilievre
Autre point d’interrogation autour du vote : le Parti conservateur du Canada (PCC). Les membres conservateurs du comité, tous québécois, se placent souvent en défenseurs du français tant au Québec que hors de leur province.
« Normalement, C-13 a l’appui des conservateurs, avance Geneviève Tellier. Mais ça va être le premier test de Pierre Poilievre sur ce point. C’est d’autant plus embêtant si le premier ministre permet le vote libre de son parti sur ce projet de loi gouvernemental. »
Contrairement aux conservateurs, qui votent habituellement en bloc au Comité des langues officielles, il est arrivé que les libéraux votent de manière séparée. Anthony Housefather et Patricia Lattanzio se sont déjà abstenus. Le libéral de la Nouvelle-Écosse, Darrell Samson a déjà voté deux fois contre son parti pour appuyer des amendements conservateurs.
Mais selon Geneviève Tellier, les enjeux politiques individuels pourraient aussi avoir raison des conservateurs. Chacun pourrait lutter pour sa communauté. « La lutte pour le Québec se joue entre les conservateurs et le Bloc québécois. Si le Bloc appuie le projet de loi, ça mettra plus de pression sur les conservateurs » pour qu’ils s’y opposent, analyse-t-elle.
« C’est le projet de loi le moins consensuel, alors qu’on pensait que c’était un done deal! s’étonne la professeure. Les partis étaient unanimes avant Noël. Il y avait des irritants, mais ils étaient d’accord dans les grandes lignes. Les libéraux devraient être alliés des francophones hors Québec. »
Les dirigeants de grandes entreprises exemptés de maitriser français
Au Comité permanent des langues officielles du 14 février, les libéraux, tout comme les conservateurs, se sont opposés à un amendement du Bloc québécois, soutenu par la néodémocrate Niki Ashton, qui devait rendre la compréhension du français obligatoire pour les dirigeants d’entreprises soumises à la Loi sur les langues officielles.
« Les premiers dirigeants de ces sociétés […] le sont parce que le gouvernement a privatisé ces compagnies. Les sociétés nous ont montré à maintes reprises qu’elles n’avaient aucun intérêt à respecter leur contrat social avec nous, quand elles ont choisi des premiers dirigeants qui ne peuvent s’exprimer que dans une seule langue officielle. […] La moindre des choses serait que le premier dirigeant puisse s’exprimer également en français », a lancé Niki Ashton, agacée.
L’amendement du Bloc « noie le poisson », selon Joël Godin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de Langues officielles du PCC.
« Cet amendement est trop général. Il limitera les gens unilingues à ne pas avoir accès à ce genre de poste d’administrateur. Le plus important serait de les obliger à acquérir la deuxième langue. Je pense que c’est la philosophie qu’on devrait tramer derrière tout cela. »