Retour sur les bancs de l’école! Ceux du Collège Louis-Riel (CLR) pour être précis. Après presque dix ans et quelques poils au menton en plus, drôle de sensation que d’arpenter de nouveau les couloirs du secondaire. Il est 9 h du matin ce mercredi 8 février, le temps est doux et les mines, pour la plupart, sont déconfites. Le réveil a été dur pour beaucoup, mais il va vite falloir se réveiller, car ce matin, c’est cours de philosophie.
Pascal Ybanez, l’enseignant termine tout juste son café et salue les élèves qui passent la porte. Les chaises se remplissent, le brouhaha du couloir s’éloigne, les discussions s’interrompent alors qu’une voix se fait entendre sur le haut-parleur. L’hymne national se termine, le cours peut commencer.
Dans la salle de classe qui rassemble une poignée d’élèves, 12, on jette un oeil à l’actualité : « Reza Rezaï a vu son oeuvre se faire retirer d’un festival », alors, on pose la question, l’artiste est-il vraiment libre? Et finalement, c’est quoi la liberté?
Pour les élèves présents ce jour-là, il ne s’agit que de leur troisième cours de philosophie. « On essaie encore de comprendre ce que c’est que cette bête-là, explique Pascal Ybanez. Tout doucement nous allons voir quels sont les outils du philosophe, sa méthode. Poser les bases. »
Avec pour toile de fond l’étymologie, la notion de concept et de problématique, c’est finalement une conversation qui s’engage autour de grandes questions méta-physiques. D’aucuns diraient qu’il est trop tôt, que les élèves sont trop jeunes pour aborder de tels thèmes et pourtant!
L’engouement est là, les sourires, et les rires aussi, mais jamais moqueurs.
On échange
« Il y a parfois des réponses moins bien formulées, des questions mal posées, mais il n’y a pas de mauvaises réponses. On essaie ensemble de mieux argumenter. » Mieux structurer sa pensée pour aiguiser son sens critique. Une finalité revendiquée par la quasi-totalité des systèmes scolaires. Mais l’accès à la philosophie en tant que sujet d’étude, au Canada en tout cas, n’est pas possible avant l’entrée à l’université.
C’est en partie pour remédier à ça que ces cours au Collège Louis-Riel ont vu le jour. Rémi Lemoine, directeur du CLR, Antoine Cantin-Brault, professeur de philosophie à l’Université de Saint-Boniface et Pascal Ybanez partageaient la même envie d’offrir des cours de philosophie dans le programme de la DSFM.
Quoiqu’optionnels pour le moment, les cours de Pascal Ybanez, dont le prénom se prête assez bien à son rôle, seront aussi proposés aux 11e années à compter de l’an prochain.
Ce programme, l’enseignant le connaît sur le bout des doigts évidemment, mais surtout, en tant que grand passionné, il dirige le débat avec aisance. Ses élèves, âgés de 17 ans, saisissent avec enthousiasme toutes les perches qu’on leur tend. Les thèmes abordés sont nombreux, on acquiesce, on rebondit, on exprime son désaccord, bref : on échange. Et sans même le savoir, du bout de leurs pensées, ceux qui étaient des enfants il y a encore quelques années, effleurent les réflexions des plus grands. Bien sûr la forme est un peu différente. Pour parler de sagesse, on cite maître Yoda, mentor de Luke Skywalker dans la trilogie Star-Wars originel.
Aucun jugement
Pour parler de justice et de morale, on prend l’exemple d’un portefeuille perdu contenant 500 $. Et là, les réponses fusent :
« Je le dépose à l’accueil! », « S’il y a 500 $ à l’intérieur, le propriétaire va forcément venir le chercher. Je le laisse où il est. » Mais aussi : « Quoi! 500 $? Je les prends, moi. » Autant de réponses qu’il y a d’élèves.
Dans cette classe où co-existent des adolescents de couleurs, de religions et de milieux différents, tous ont consenti, sans dire mot, à parler de tout. Toutes les problématiques méritent d’être abordées, tous les concepts d’être contestés. Même les plus délicats, et Pascal Ybanez en a bien conscience : « Certains sujets sont plus sensibles que d’autres, mais je ne me refuse jamais de les aborder. »
Vers la fin du cours, on s’interroge sur la vie après la mort, sur la religion et la foi. Et alors que l’on débat l’existence ou l’absence de Dieu devant des jeunes musulmans et chrétiens, force est de constater que l’engagement des élèves dans la discussion reste inchangé et se fait toujours dans le respect.
« Il faut bien faire comprendre que nous ne sommes pas là pour juger les croyances. Nous sommes là pour les questionner philosophiquement. Ne jamais dire que c’est stupide de croire, mais se demander pourquoi l’on croit. » Pour ça, il faut que les philosophes en herbe se sentent en confiance et ce n’est pas forcément évident. « Ça demande beaucoup d’attention, il faut que je sois à l’écoute. Ma posture doit être à la fois engageante et neutre, mais pas froidement neutre. »
Réaction positive
Et il semblerait que ça fonctionne. La sonnerie retentit, le bruit des chaises qui grincent sur le sol en fait presque trembler le bâtiment. L’occasion de demander à ces jeunes gens ce qu’ils ont pensé de ce cours, encore nouveau pour eux. Les réactions sont toutes positives, toutes élogieuses. Aminata Diallo, qui est au CLR pour la dernière année, lance à propos de la philosophie : « Ça nous permet de découvrir d’autres perspectives. D’en apprendre plus sur soi et sur les autres aussi. »
Et c’est peut-être le plus intéressant dans cet exercice. Qu’ils deviennent de grands philosophes ou pas, l’espace d’une heure, ces quelques élèves du Collège Louis-Riel ont incarné ensemble ce à quoi toutes les communautés devraient ressembler.