Janelle Delorme et Janet LaFrance vont donner une conférence le 8 février prochain à l’Université de Saint-Boniface au sujet de l’école industrielle de Saint-Boniface (1).
Grâce au travail minutieux effectué par Janet LaFrance dans différents fonds d’archives, Janelle Delorme a pu découvrir l’histoire de son arrière grand-père, Fulgence Delorme. Preuve du rôle essentiel que jouent les archives dans la vérité et la réconciliation.
C’est un travail qu’a commencé Janet LaFrance, directrice générale du Centre du patrimoine, à l’été 2021 sur demande de Darian McKinney, membre de la Première nation de Swan Lake. Des recherches dans neuf fonds d’archives pour arriver à une liste de 286 élèves. Janet LaFrance confie : « On ne pourra jamais confirmer avec certitude certains éléments comme des photos d’enfants qui pourraient avoir un lien avec l’école industrielle.
« Dans les documents du gouvernement fédéral, il est écrit qu’il y a environ 300 enfants qui ont fréquenté cette école. Il me manque encore quelques noms. Avec les recherches, on a aussi pu apprendre que 87 enfants sont morts dans cette école.
« On a aussi identifié et confirmé une centaine de noms de personnes qui ont travaillé dans cette école. On a été chanceux de trouver ça. »
Parmi ces 286 noms, un certain Fulgence Delorme, l’arrière grand-père de Janelle Delorme. Mais avant de faire le lien entre son parent et l’école industrielle de Saint-Boniface, Janelle Delorme a creusé profondément pour retrouver sa trace. « De notre côté, on a toujours su qu’on était Métis. Mon père et moi avons toujours aimé la généalogie, conté des histoires de famille, en découvrir plus sur nos ancêtres. En 1998, mon papa a fait sa généalogie avec la Société historique de Saint-Boniface. Avant ça, il avait un document de notre lignée de la famille Nault.
« On se posait tout de même plusieurs questions à propos de mon arrière grand-père Fulgence Delorme. Le défi avec son prénom c’est qu’il est tellement rare qu’il était très difficile de faire de la recherche sur lui. Parfois je trouvais son prénom écrit Filigence, Frederik tout dépendait des personnes qui faisaient le recensement. Avec bien en tête le fait que le biais humain est toujours présent dans tous les documents, je me questionnais souvent sur la véracité de ce que je trouvais.
« Si l’histoire de Fulgence nous a toujours intéressés c’est parce qu’il est décédé de la tuberculose lorsque mon grand-père, Albert Delorme avait huit mois. Il ne l’a jamais connu. Malgré tout, mon grand- père a été élevé dans la culture métisse. »
« On ne pourra jamais confirmer avec certitude certains éléments comme des photos d’enfants qui pourraient avoir un lien avec l’école industrielle. »
Janet LaFrance
Suivre la trace
Alors comment retrouver la trace d’un ancêtre dont le prénom a été maintes fois modifié? Janelle Delorme a été persévérante. « Pendant la pandémie, tout le monde faisait du pain et moi je faisais de la recherche sur ma famille! Je faisais beaucoup d’insomnies. J’ai commencé des recherches dans les archives publiques et numériques.
« Je ne le trouvais pas dans les registres à cause de son prénom. J’ai pris un autre chemin. J’ai fait de la recherche sur sa mère, Justine. Il y avait beaucoup plus d’informations. Je l’ai trouvé dans les registres du recensement de 1881, 1891, 1901 et 1911. C’était incroyable! Et je retrouve la trace de Fulgence sauf que je la perds de nouveau en 1901.
« Il faut comprendre que Justine a été mariée deux fois. Elle a eu des enfants avec son premier mari, il est décédé et puis dans ce temps-là on se remariait assez vite pour des conditions sociales. Elle s’est donc remariée avec Alexis Delorme avec qui elle a eu des nouveaux enfants.
« Sauf qu’en 1901, dans le recensement, il n’y a plus d’enfants. La maison est vide. Je trouvais ça très bizarre. Justine avait des liens avec la Saskatchewan alors je suis allée voir si les enfants n’étaient pas chez de la famille là-bas. Rien.
« Je pensais aussi qu’ils étaient peut-être partis à la chasse aux bisons avec de la famille. Mais je ne trouve rien pour confirmer mon hypothèse.
« Je laisse cette période de côté et je continue de creuser sur Fulgence. Je le trouve quelques années plus tard avec une inscription qui dit qu’il est éduqué. Qu’il parle français, anglais et cri. J’ai mon premier pincement au cœur parce que le cri s’est perdu dans notre famille. »
Si Janelle Delorme trouve quelques éléments de réponses, les nouvelles questions se multiplient. La pandémie et les confinements lui ont permis de se rapprocher de membres de la famille perdus de vue. « En parallèle de cette recherche, je reprends contact avec ma cousine Shirley Delorme Russell qui est une historienne métisse. Shirley est une descendante de Théodore, un des frères de Fulgence. De son côté, elle avait découvert des cousins et cousines qu’on ne connaissait pas. On a alors lancé une conversation de cousins et cousines pour partager des nouvelles. C’était fantastique. »
Questionnement
C’est grâce à ces cousins que Janelle Delorme se tournera plus tard vers Janet LaFrance pour la questionner sur son arrière grand-père. « Un jour, un de nos cousins nous dit : avez-vous entendu la rumeur dans notre famille que les enfants de Justine sont allés dans une de « ces » écoles? Lire cette phrase, c’était déroutant.
« Plus tard, une de nos cousines envoie la page d’un recensement que j’avais déjà vu. Mais je ne l’avais pas compris en le regardant. Je suis retournée dans les archives de Bibliothèques et Archives du Canada. Les enfants Delorme étaient à Saint-Boniface. Il n’y avait aucun parent. Juste une liste de noms d’enfants : Julien, Fulgence, Théodore. La page suivante était celle avec les noms des filles : Hélène. »
C’est un choc pour Janelle Delorme, elle qui travaille depuis plus de dix ans dans le domaine de la réconciliation. Au delà du choc, elle a besoin de découvrir la vérité sur ce qui est arrivé à Fulgence Delorme. « Je continue de fouiller pour confirmer qu’ils ont été dans une école résidentielle. Sur la page précédente de ce recensement, il y a le nom du père Dorais qui a été le directeur de l’école industrielle de Saint-Boniface.
« J’envoie tout ça à Janet et lui demandant si c’est bien ce que je pensais? Elle m’a dit de passer au Centre du patrimoine parce qu’elle avait des choses à me montrer. »
Pour Janet LaFrance il n’était pas humainement possible d’annoncer à Janelle Delorme qu’elle était une survivante intergénérationnelle. « En faisant mes recherches, j’ai trouvé le nom de son arrière grand-père sur ma liste. Je lui ai demandé de passer aux bureaux parce que je ne me voyais vraiment pas lui annoncer cette réalité par courriel. Elle est une survivante intergénérationnelle.
« Je lui ai montré tout ce que j’avais sur lui en rappelant qu’elle et sa famille étaient les bienvenus au Centre du patrimoine pour explorer les archives. Cette école était vraiment gérée comme les pensionnats autochtones qui viendront après. C’était une école exclusivement pour les jeunes autochtones. »
Soulagement et horreur
Janelle Delorme comprend alors des documents, qu’elle a pu découvrir au cours de ses recherches personnelles, grâce à Janet LaFrance. « Le nom de mon arrière grand-père était sur la liste du bulletin de recensement B. D’une certaine ligne à une autre, il y avait les enfants qui étaient allés à l’école industrielle. Il y avait d’autres lignes pour ceux qui étaient au Collège de Saint-Boniface. Ces enfants avaient la lettre W marquée en face de leur prénom pour bien signifier qu’ils étaient blancs. Alors que ceux de l’école industrielle avaient la lettre R pour Redskin. »
« J’ai grandi à Saint-Boniface, ma mère a grandi à Saint-Boniface, et on n’en a jamais entendu parlé. Comment c’est possible?
Janelle Delorme
Déchirée entre le soulagement de comprendre l’histoire de son arrière grand-père et de penser aux horreurs qu’il a pu vivre, Janelle Delorme se sent alors en charge de raconter son histoire. « On entend souvent que les Métis ne sont pas allés dans ces écoles, que ça n’est pas arrivé chez les francophones. 130 enfants métis ont fréquenté cette école industrielle.
« J’ai grandi à Saint-Boniface, ma mère a grandi à Saint-Boniface, et on n’en a jamais entendu parlé. Comment c’est possible? En 1922, il y a eu l’incendie au vieux Collège de Saint-Boniface où dix personnes sont mortes dont neuf enfants. Il y a eu toute une histoire autour de ça. Là on parle de plus de 80 enfants qui sont décédés à l’école industrielle et on n’en a jamais parlé.
« C’est quelque chose qui m’enrage qu’on ait caché cette histoire. Je ne pense pas être la seule à avoir un lien avec cette école. Maintenant, j’en sais davantage sur son histoire, je connais la vérité. »
Évidemment connaître la vérité a un prix, Janelle Delorme commence un nouveau chemin de sa vie comme survivante intergénérationnelle. « Il y a beaucoup de blessures à chaque fois qu’il y a des annonces sur des découvertes de tombes sur les sites des pensionnats autochtones. Je suis dans les montagnes russes émotionnellement, il y a des bons jours et des mauvais jours.
« De façon générale, il y a du chemin à faire. Certaines personnes ont encore des œillères. Nos institutions francophones font partie de cette histoire. Sans aucun doute. Avec l’école industrielle de Saint-Boniface, on ne peut pas se le cacher. »
« Il faut être réaliste la réconciliation est un très long chemin qui va te prendre toute ta vie. Tu ne peux pas juste le faire en cochant des cases. »
Janelle Delorme
Le travail des archives
C’est dans cette optique qu’elle et Janet LaFrance ont décidé de donner une conférence sur cette école. Janet LaFrance indique : « La conférence est d’intérêt pour la communauté francophone du Manitoba. Il y a déjà d’autres groupes qui nous ont approchées pour faire des tournées du Centre du patrimoine et même des présentations sur l’école industrielle de Saint-Boniface.
« C’est une conversation qu’on devrait commencer à avoir dans la communauté francophone. Il y a évidemment peu de ressources sur la question. »
Pour Janelle Delorme, il reste que ces présentations peuvent être éprouvantes. « Je fais ces présentations même si elles demandent beaucoup d’énergie. Mais je pense que l’éducation est la clé de tout. C’est important que nos jeunes soient au fait de cette partie de notre histoire et sur ses conséquences encore présentes aujourd’hui.
« Il faut être réaliste la réconciliation est un très long chemin qui va te prendre toute ta vie. Tu ne peux pas juste le faire en cochant des cases. »
Parvenir à la vérité et à la réconciliation
Pour parvenir à la vérité et à la réconciliation, les archives sont clés. À plusieurs reprises, des communautés autochtones ont demandé à ce que les institutions religieuses ouvrent toutes leurs archives. Le Centre du patrimoine possède les archives des Oblats de Marie-Immaculée, l’une des congrégations religieuses qui a administré les pensionnats autochtones. « Les archives religieuses contiennent fréquemment des documents en lien avec les écoles résidentielles. La plupart de nos traitements d’archives religieuses sont vraiment axés sur les documents en lien avec les communautés autochtones et les écoles résidentielles.
« On a un partenariat avec les Oblats de Marie-Immaculée. Ils paient une personne qui numérise les documents relevés d’intérêts pour les Autochtones et les survivants de pensionnats. Il y a parfois des documents troublants et c’est pour cette raison qu’ils doivent être partagés avec les survivants. Ils doivent pouvoir avoir accès à leur histoire et à leur vécu. Le Centre du patrimoine les transmet alors au Centre national pour la vérité et la réconciliation.
« Pour savoir ce qui est d’intérêt, le Centre du patrimoine a listé toutes les écoles industrielles et résidentielles dans leur collection suivant la Commission de vérité et de réconciliation. On a aussi listé les externats. Parce que ce contrat de numérisation pourrait englober les externats et peut-être un jour les hôpitaux de tuberculoses. »
- Fulgence Delorme: Gracieuseté Janelle Delorme
- Janelle Delorme et Janet LaFrance: Marta Guerrero