La COVID, les failles dans les chaînes d’approvisionnement, les canicules, la guerre en Ukraine : ce récent faisceau de catastrophes a mis plus que jamais en lumière une vérité importante, depuis longtemps soupçonnée : les modèles macroéconomiques sont incapables d’anticiper de tels chocs.
Par Raymond CLÉMENT
Depuis 50 ans, les banques centrales mondiales sont progressivement passées du modèle keynésien à un modèle monétariste et, depuis une vingtaine d’années, à un modèle dynamique, dit d’équilibre général. Les modèles économiques se succèdent sans pouvoir résoudre un problème central : ils sont inefficaces face aux perturbations qui affectent périodiquement l’économie.
Ray Fair, un économiste qui utilise encore un modèle de type keynésien, n’a pas publié de prévisions en 2020 et 2021. Le choc de la COVID s’est révélé trop sévère pour que son modèle lui donne des résultats satisfaisants. Il l’a reconnu sur son site web : il invite à se servir de son modèle en appliquant des changements raisonnables aux variables exogènes pour que son modèle converge vers des prévisions acceptables.
Ce professeur d’économie de l’Université Yale s’appuie sur un modèle incapable de bien prédire des points tournants, comme par exemple la crise financière de 2008/09. Ce qui est fort ennuyeux puisque des chocs souvent imprévisibles, comme les bulles financières ou immobilières, ont des conséquences réelles sur l’économie.
Je témoigne en connaissance de cause : j’ai gaspillé une partie de mon temps à essayer d’affiner un modèle macroéconomique à l’échelle de notre province en ajustant une variable qui explosait par ci, tandis qu’une autre
implosait par là. Il n’y a aucun doute : développer un modèle qui à la fois donne des prédictions stables et qui anticipe des chocs représente un vrai défi.
Une piste pour améliorer les prédictions serait de mettre en jeu des stabilisateurs automatiques, comme par exemple le système de l’assurance-emploi, qui joue à la fois sur les transferts de paiements aux ménages et les impôts sur les revenus. Quand l’économie ralentit, automatiquement les transferts aux ménages augmentent et les impôts diminuent. Et l’inverse se produit lorsque la croissance économique est rapide.
Un tel système contribue davantage à soutenir et à stabiliser l’économie, ainsi que le niveau d’emploi.
L’évidence est là : les stabilisateurs automatiques sont d’utilisation souple. Ils entrent en vigueur sans attendre des changements en provenance de la politique monétaire de la Banque centrale du Canada ou la création de nouvelles mesures fiscales.
Grâce aux banques de données de Revenu Canada et de l’Assurance- Emploi, on pourrait en plus mieux cibler les récipiendaires qui déjà bénéficient des stabilisateurs automatiques.
Notre monde est rempli de risques et d’incertitudes. Il tombe donc sous le sens que soutenir et améliorer les stabilisateurs automatiques serait plus efficace pour atténuer les chocs que l’économie finit tôt ou tard par subir. Cette voie aiderait par surcroît les moins nantis, qui n’auraient pas besoin d’attendre des incitatifs de la politique monétaire ou fiscale.