FRANCOPRESSE — Une cible « ambitieuse », c’est ainsi que la FCFA la décrit. L’organisme prévoit de demander à IRCC de faire augmenter progressivement la cible d’immigration francophone à 12 % hors Québec dès 2024 et à 20 % en 2036. Un objectif atteignable si les communautés francophones se donnent les moyens.
Inès Lombardo — Francopresse
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) aura du pain sur la planche pour appuyer les francophones. En novembre dernier, le Commissariat aux Langues officielles (CLO) avait déjà publié une étude qui confirmait que la cible de 4,4 % d’immigration francophone ne permettait pas de maintenir le poids démographique des francophones en situation minoritaire au Canada.
Ce 4 avril, un autre pas a été franchi pour pousser IRCC à agir : la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a demandé au ministère une cible de « réparation » du poids démographique des francophones hors Québec.
L’étude de Sociopol intitulée Faire le point sur la cible en immigration, sur laquelle se base la FCFA, décline plusieurs scénarios d’immigration francophone. À partir d’une cible de 12 % d’immigrants francophones hors Québec, dès 2024, la FCFA souhaite faire augmenter la cible d’immigrants francophones de 2 % tous les trois ans, pour atteindre 20 % en 2036. Un chiffre ambitieux, mais « réalisable » sur plusieurs années, assure l’organisme.
Cette cible de réparation deviendrait peu à peu une cible d’augmentation du poids démographique des francophones en situation minoritaire. C’est le but de la FCFA pour 2036.
Plusieurs recommandations
Mariève Forest est présidente et chercheuse principale chez Sociopol. Corédactrice de l’étude avec Guillaume Deschênes-Thériault et Bey Benhamadi, elle assure que les cibles sont atteignables si « on se donne les moyens ».
À travers cette étude, le travail des chercheurs démontre concrètement que les mesures d’immigration prises jusqu’alors contribuent au déclin du poids démographique des francophones en situation minoritaire. Ils se sont appuyés sur des données, calculées à partir de la méthode d’IRCC.
Pour inverser la tendance, les chercheurs ont fait plusieurs propositions à la FCFA, dont voici les recommandations principales :
- La création d’un programme d’immigration économique francophone distinct, arrimé aux besoins des communautés et des employeurs de la francophonie canadienne ;
- La création d’un volet francophone pour la catégorie du parrainage familial ;
- L’augmentation de la part d’appui du gouvernement du Canada à la réinstallation des personnes réfugiées aux situations d’urgence dans les pays francophones d’Afrique ;
- La mise sur pied d’un volet dédié aux francophones dans le cadre des Programmes des candidats des provinces ;
La levée de «certaines barrières aux visas étudiants» pour les étudiants internationaux francophones ou encore la création d’une passerelle permanente entre la résidence temporaire et la résidence permanente, comme en 2021, sont d’autres mesures qui mèneraient vers la cible.
La FCFA demande aussi une capacité accrue de traitement des demandes d’immigration du gouvernement du Canada dans les pays sources francophones, notamment en Afrique.
Des « ajustements nécessaires » dans les communautés d’établissements
Les cibles présentées par la FCFA, si elles sont appliquées, correspondraient à une augmentation d’environ 8000 personnes tous les trois ans. La question est de savoir si les provinces et territoires ont les infrastructures et les ressources nécessaires pour les accueillir.
Liane Roy, présidente de la FCFA, assure qu’il y a du travail à faire. « C’est pour cela que les cibles sont progressives. On veut donner la chance aux communautés de faire les ajustements nécessaires, de s’organiser en termes de programmes d’accueil, pour renforcer et mobiliser les employeurs, les gouvernements provinciaux et territoriaux. On pense que c’est possible ».
Alain Dupuis, directeur général de la FCFA, ajoute : « Il y a eu beaucoup de progrès sur le renforcement du parcours d’établissements, des services offerts en français par des organismes francophones aux pays… Et la capacité a été accrue au niveau des communautés pour l’accueil et l’intégration ».
Il admet lui aussi « qu’il va falloir en faire plus » au sein des communautés. Cela passerait par la création de services et de nouvelles communautés accueillantes.
« Il faut aussi qu’on s’assure que nos employeurs sont mobilisés pour qu’il y ait de l’emploi en français ou dans des environnements bilingues, qu’on lutte contre toute forme de discrimination. C’est un projet de société, qu’on met de l’avant », affirme Alain Dupuis.
Pour la chercheuse Mariève Forest, l’accueil et l’établissement ont certes besoin de davantage de ressources, mais que le cœur du travail n’est pas là.
Selon elle, les cibles demandées sont possibles seulement si «de grandes réformes en matière de recrutement d’immigrants francophones sont mises en place ». Elle cite plusieurs exemples, dont l’Ontario, qui se démarque, car c’est la seule province qui a créé un programme distinct pour les travailleurs qualifiés francophones.
Des discussions ont été engagées ces derniers mois entre la FCFA et le ministre Fraser et sa secrétaire parlementaire, Marie-France Lalonde. « Ces chiffres ne sont pas une surprise pour eux. On travaille avec eux pour réaliser une politique sur l’immigration francophone et des programmes par et pour les francophones en situation minoritaire », affirme Liane Roy.
Les cibles présentées aujourd’hui font également partie du travail du ministère des Langues officielles. Le projet de loi déposé par la ministre Petitpas Taylor le mois dernier s’engage à concrétiser une politique d’immigration francophone, des objectifs, cibles et indicateurs.
Diminution du poids démographique
Selon l’étude de Sociopol, les « proportions annuelles d’immigration francophone demeurent bien inférieures au poids de la population francophone à l’extérieur du Québec. Les admissions de résidents permanents francophones ont dépassé le seuil des 2 % à seulement deux reprises, en 2019 et en 2020, avant de redescendre à 1,95 % en 2021 ».
L’étude montre également qu’il y a eu une diminution du poids démographique des communautés francophones et acadienne de 37,7 % au sein de la population totale, entre 1971 et 2016.
Depuis 2019, IRCC communique uniquement les données recueillies [sur les résidents permanents d’expression française] au moyen de la mesure de calcul adoptée en 2016. Selon l’étude de SocioPol, cela a eu pour effet de surestimer l’ampleur des progrès réalisés au cours des cinq dernières années.